Voici l'histoire de Momo : Tout d'abord, et c'est aussi le début de notre vie commune, pourquoi Moïse ? Parce qu'il fut trouvé un jour de Septembre 78 en plein milieu du flot de la circulation automobile de Paris, près du Luxembourg. C'était déjà tout Momo ça ! Nous nous promenions donc, ma compagne et moi près du fameux jardin lorque tout d'un coup elle me fit remarquer: « tu as vu le chat ? » Moi, le nez au vent et la tête en l'air comme d'habitude : « quel chat, où ça ? » ; « là, sous la voiture ! ». Je regardais dans la direction indiquée et, effectivement, sous une voiture roulant au pas dans un encombrement, une forme non réellement identifiable suivait ladite voiture, dessous... Je me précipitais et, arrêtant le véhicule demandais bêtement au conducteur : « il est à vous ce chat ? », l'autre étonné : « quel chat ? », « ben le chat là !... ». Le temps pour moi de me retourner, et la bestiole avait disparu... Inquiet et sentant inconsciemment qu'il arrivait là un événement important, je fais le tour de la voiture et... je déniche un chat qui avait eu, le temps de cet intermède, l'idée de grimper sur une roue ! Je l'agrippe et extrais une chose, miaulant tout son être, sale, mais vraiement sale, louchant à qui mieux mieux n'ayant plus de moustaches mais une queue de rat... Je retourne vers mon amie et lui montre triomphant mais néanmoins inquiet la loque que je tenais par la peau du cou. L'affaire était faite : le machin était adopté... Il ne devait avoir que quelques mois, peut-être même pas sevré, bref le chaton perdu par excellence et promis aux roues des voitures si je ne l'avais pas sauvé. Pour dire l'état dans lequel il était : lors du retour, je le portais discrètement caché dans ma veste : il était tellement sale que celle ci dut-être nettoyée. Mais ce sauvetage restera éternellement gravée dans ma mémoire comme celle du « hasard et de la nécessité », comme un miracle unique : ma rencontre avec un bête chat dans des conditions extraordinaires et qui deviendra un compagnon rare et magnifique, celui que je n'aurais même pas espéré dans mes désirs de chat. Or donc, nous le ramenons dans notre appartement où régnait déjà une petite minette récemment acquise, elle dans des conditions tout à fait normales, ayant eu une jeunesse normale, une mère normale, bref l'antithèse exacte du monstre qu'on venait de trouver. On pose le Moïse à terre, et le voilà aussitôt agressé par la maîtresse des lieux qu'il fallut retenir. Il alla se réfugier sour une armoire d'où on ne le voyait ressortir précautionneusement que pour se jetter voracement sur tout ce qu'on lui donnait à manger. Le siège dura une bonne semaine. Petit à petit, il reprit du poil de la bête, c'est bien le cas de le dire, et il s'enhardit. Il fallait lui donner sa pitance avec les précautions qu'on prend face à un félin sauvage car il se précipitait sur elle tellement rapidement qu'il en mordait le bord de l'assiette ou même mes doigts ... D'aventures, il en eut, qui parsèment habituellement la vie d'un chat urbain et que Momo transformait en événements extraordinaires, hors du commun. C'était un superbe chat, qui, avec sa demi-soeur, eut une jeunesse heureuse. Elle s'appelait Georges, en réfférence littéraire à Georges Sand, admirée par ma compagne. Avec ma manie des surnoms, elle devint rapidement Jojo puis Jojotte. Après des débuts difficiles, les deux chats s'entendirent comme larrons en foire et firent évidemment les quatre cent coups. Comme tout chaton qui se respecte, tout était propice aux jeux : galopades tout au long de l'appartement comme des boulets de canons, grimpades avec élan sur tout ce qui pouvait se grimper, des rideaux en toile de jute prévus à cet effet aux corps de nous deux (pas prévus à cet effet) comme si c'étaient des cocotiers, en passant par les meubles dont tout ce qui était dessus était promis à une chute fatale. Nous n'eûmes bientôt plus de bibelots valides mais fûment couturés de traces de griffures. Effectivement, un des jeux favoris de Momo était, alors qu'on ne s'y attendait pas, de nous grimper dessus comme sur un arbre et de parader la queue en l'air sur notre tête. Tant qu'il fut chaton et malgré les cicatrices, ça allait ; mais lorsqu'il devint chat avec ses cinq bons kilos, nous dûmes sévir. Mais, devant leurs facéties, nous ne pouvions que rire et nous avions du mal à les tancer sérieusement. Momo était le meneur de cette bande de lascars et Jojotte ne demandait qu'à le suivre. Nous le trouvâmes un jour empétré dans les portes manteaux d'une armoire parce qu'il avait du vouloir grimper dessus. On ne comptait plus les fois où, inquiets d'une tranquillité surprenante dans l'appartement, on cherchait les deux pendant longtemps pour finalement les retrouver fraternellement endormis dans le fin fond d'un endroit impensable. Ils avaient aussi l'habitude, lorsque je travaillait sur mon bureau, toute lampe allumée, de venir se lover l'un sur l'autre juste dessous celle ci, bien au chaud de sa lumière. Combien de fois, alors que j'étais absorbé par mon travail, soudain surgie de nulle part une forme toute queue en panache atterrissait sur mon ouvrage, me faisant sursauter. Momo disposait de toute une série de miaulements, de bruits bizarres devrais-je dire tant il était capable d'émettre des sons étonnants qui allaient du ronronnement silencieux (Momo fut le seul chat que j'ai connu qui ne pouvait pas ronronner ! ) au grommellement à la gremlin (d'où un de ses surnoms) en passant par des sonnorités impensables, surtout lorsqu'il s'agissait de faire comprendre qu'il avait faim. Je me souviendrai toujours des quatre cent coups qu'il accomplit avec Jojotte lorsque nous habitions un rez de chaussée donnant d'un coté sur une courette d'immeuble, de l'autre sur la rue. Chacun de ces terrains d'aventures fut utilisé au maximum de ses possibilités. La cour pour explorer tout ce qui était explorable, surtout le pannier de provisions d'une voisine d'où ils extirpèrent un jour un poulet rôti, jusqu'à la fenêtre d'une autre voisine d'où ils chapardèrent un poisson malencontreusement posé là. On imagine très bien les lascars accomplissant leurs forfaits... Surtout qu'ils étaient parfaitement nourris... Mais bon, on connait la propension des chats à chasser ou chaparder tout ce qui est commestible, ne serait-ce que pour le plaisir. Par contre, un épisode nous inquiéta vivement. Ce fut la fois où Momo, sorti par une des fenêtres sur rue, disparut pendant deux jours. On peut concevoir notre désespoir de savoir notre chat inexpérimenté dans la jungle de la cité. Nous imaginâmes tous les scénarios possibles, dont les pires, Momo écrasé par une voiture, perdu, enlevé, blessé... Le volet resta tout le temps entr'ouvert dans l'espoir d'un retour. Il était encore jeune à l'époque. Nous le crûmes errant dans le laçis des rues, cherchant peut être à revenir. Je le cherchais longtemps entre les voitures garées, l'appelant sans cesse. Après une journée d'absence, nous nous fîmes une raison et attendîmes, laissant toujours entrebaillé le volet. Au matin du troisième jour, nous entendîmes un gratement et des miaulements à la fenêtre. Nous nous précipitâmes, n'osant trop croire au miracle. Momo était bien là, sale, trempé et miaulant à qui mieux mieux mais nous ne trouvâmes aucune blessure. Cette loque se précipita sous un radiateur et y passa la journée à se remettre de ses émotions. Nous fûmes évidemment aux petits soins pour le fils prodigue. Nous pensâmes qu'il était en fait allé faire le matou (à l'époque il n'était pas encore castré) auprès des minettes du quartier... Et cette fois où nous fûmes alertés par des miaulements affreux. Comme nous étions dans l'appartement et que ceux ci provenaient de l'extérieur, nous eûmes un peu de mal à les localiser. En fait, le drame se passait dans l'entrée de notre escalier, autour de la porte d'entrée. Par je ne sais quelle acrobatie, Momo était parvenu à grimper sur la porte. Or celle ci possédait un « groom » qui fonctionna parfaitement et fit son office : il ferma la porte. On peut imaginer ce qui arriva : Momo se trouva coincé d'une patte entre le battant et le chambranle d'où des miaulements horribles. Jojotte qui se trouvait, elle, en bas de la dite porte, miaulait à qui mieux mieux, histoire d'ajouter à l'ambiance. Nous nous précipitâmes et sauvâmes l'impétrant qui reçu à sa descente une correction de Jojotte pour lui apprendre à vivre... Ce fut une de nos grandes rigolades. Avec les chats il faut être chat et avec les matous, matou. Ne pas hésiter à lui donner une peignée parfois (toute proportion gardée bien sûr) pour lui montrer qui est le maître. De temps en temps donc, je jouais ce petit jeu avec Momo. Ca nous entraînait sous un meuble où il se réfugiait, grondant et crachant et où je le suivais grondant et crachant aussi. Il y avait quelques coups de patte de part et d'autre (évidemment, mes coups de pattes étaient surtout des coups de doigts) et j'avais du mal à me contenir d'éclater de rire. Le spectacle devait être hilarant, moi poursuivant à quatre pattes mon tas de poils, lui se terrant tous poils dressés. Mais bon, après ces séances d'autorité réinstallée, il me faisait la gueule quelques instants puis je le voyais revenir mine de rien, la queue en panache et plein d'affection... Comme quoi, si on est juste, il n'y a pas de problème. Le truc c'est de le réprimander la main dans le sac et surtout pas après. Il y a aussi une chose que les chats (aussi) n'aiment pas, c'est lorsqu'on crie. J'utilisais parfois cette arme et ça ne plaisait pas du tout au contrevenant... A suivre...
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